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«À quelle heure on est mort?» de Martin Faucher d’après Réjean Ducharme: Splendide résurrection

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)


Plus on explore le parcours du metteur en scène et cofondateur du Théâtre des Fonds de Tiroirs et la théâtrographie de la compagnie, plus on comprend qu’À quelle heure on meurt ?, le collage qu’a créé Martin Faucher il y a plus de trente ans à partir d’extraits de L’Océantume, L’Hiver de force, Le Nez qui voque et L’Avalée des avalées de Réjean Ducharme, auteur mythique de notre littérature, de notre dramaturgie, décédé en août 2017, ne pouvait faire autrement que se retrouver sur son chemin. Frédéric Dubois se passionne pour l’absurde d’Ionesco, un des plus fins observateurs de l’humain au XXe siècle, et pour la langue à la fois poétique et sans merci de Ducharme à l’égard du même humain du XXe siècle.



Quand Frédéric Dubois annonçait que, pour sa reprise d’À quelle heure on meurt ?, il allait confier les rôles des adolescents Mille Mille et Chateaugué aux septuagénaires Louise Turcot et Gilles Renaud, la seule chose qu’on pouvait comprendre, c’était que son expérience avec Renaud sur son inoubliable production de Les Chaises d’Ionesco au TNM ne pouvait pas rester sans suite. Et de là, il n’y avait qu’un pas à franchir pour que la conjointe de ce dernier le rejoigne sur la scène mythique du Quat’Sous où Renaud a créé un autre duo mémorable, celui des Anciennes Odeurs de Michel Tremblay.



Alors après Le Cid Maghané, Ines Pérée et Inat Tendu et Les Bons Débarras, il était juste naturel que Frédéric Dubois dépoussière le pas du tout poussiéreux manuscrit d’À quelle heure on meurt ? Ce qui n’a rien eu de naturel, c’est la violence avec laquelle cette reprise tant attendu a dû être mise en jachère et, éventuellement, carrément abandonnée. Après avoir travaillé pendant des mois et s’être généreusement plongés dans l’univers passionnant de Ducharme, Gilles et Louise devaient faire le deuil d’un spectacle mort dans l’œuf (et on ne parle pas ici des œufs dans lesquels se trouvent l’avenir). À la sortie de la pandémie, il fallait faire état des décombres du spectacle et construire du neuf sur ses ruines. Alors pourquoi pas revenir à la genèse du spectacle, à sa jeunesse, et confier à des finissants de l’École Nationale de Théâtre, où Frédéric Dubois assume la direction artistique de la section française depuis deux ans, les rôles de Châteaugué et Mille Milles, n'est-ce pas?



Entrent en scène un duo de jeunes artistes époustouflants, Marie-Madeleine Sarr et Bodizar Krcevinac, de «beaux enfants» au charisme et au talent renversants, des comédiens qui sautent à pieds joints – parfois avec juste une botte – dans un univers chargé d’un lourd passé. Pas une seconde on remet en question ce choix. Ils sont Chateaugué et Mille Milles. Ils investissent les ruines laissées par la scénographie d’Anick La Bissonnière et revisitée par Julie Charrette tout autant qu’ils habitent la scène qu’auraient foulés sans doute avec moins de pep dans le soulier mais tout autant de bagout et de vitalité les comédiens de cinquante ans leurs aînés. Ils inviteront les «fantômes» de la production (pardonnez-moi l’analogie, j’ai vu aussi Les Morts d’Alexis Martin à Espace Libre cette semaine !) et leur feront même une belle place.



Comme Gilles et Louise avant eux, Bozidar et Marie-Madeleine ont aussi vécu un genre de coït interrompu puisqu’ils devaient jouer il y a plusieurs mois. Dans une entrevue, Marie-Madeleine, avec le recul, a pu voir ce temps de mûrissement, de fermentation, de vieillissement comme un cadeau. Et comme spectateur, on ne peut pas lui donner tort. On a droit à un spectacle d’une finesse, d’une brillance, d’une fraîcheur impressionnantes. On se délecte de les voir bouger, de les entendre jouir des mots qu’ils ont la chance de jouer, d’entendre ceux auxquels Robert Charlebois prête sa voix. Et ce spectacle se terminera sur un dernier tableau, un numéro de théâtre qui s’avérera la pièce de résistance, le dessert savoureux qui confirme que parfois, malgré toutes les frustrations, malgré toutes les douleurs, malgré toutes les injustices apparentes, c’est d’même qu’il fallait qu’ça s’passe finalement.



À quelle heure on est morts? Texte: Martin Faucher à partir de l’œuvre de Réjean Ducharme Mise en scène: Frédéric Dubois Assistance à la mise en scène et régie: Emmanuelle Nappert Avec Bozidar Krcevinac et Marie-Madeleine Sarr et la participation de Gilles Renaud et Louise Turcot (voix) Dramaturgie et conseils artistiques: Evelyne Londei-Shortall Scénographie: Anick La Bissonnière et Julie Charrette Costumes: Linda Brunelle Accessoires: Julie Charrette Éclairages: Renaud Pettigrew Musique: Pascal Robitaille Direction de production: Cynthia Bouchard-Gosselin Direction technique: Rebecca Brouillard Production et soutien artistique: Julie Marie Bourgeois Production: Théâtre des Fonds de Tiroirs en codiffusion avec le Théâtre de Quat’Sous Du 12 au 30 octobre 2021 (75 minutes sans entracte) Mardi et vendredi à 19h, mercredi et jeudi à 20h, samedi à 16h Théâtre de Quat’Sous, 100, avenue des Pins Est, Montréal Réservations : 514-845-7277 Information : https://www.quatsous.com/spectacles/a-quelle-heure-on-est-mort Photos : Sylvie-Ann Paré

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