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Théâtre: «N’essuie jamais de larmes sans gants» de Jonas Gardell: Fresque magistrale!

Dernière mise à jour : 14 déc. 2023

par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)


   Au fil des années, la dramaturgie LGBTQ+ nous a donné quelques fresques – surtout américaines, The Boys in the Band, A Normal Heart, The Laramie Project – qui traitaient de l’homosexualité de différentes façons. Le cinéma a abordé le SIDA de différentes façons aussi, qu’il s’agisse de Philadelphia ou MILK (Harvey de son prénom dont on fait aussi mention dans N’essuie jamais de larmes sans gants). Avec son roman fleuve qui a fait le tour de la planète et a été encensé partout, le Suédois Jonas Gardell a raconté le Stockholm des douze premières années du SIDA tout en touchant à l’universel parce que ce qui se passait dans la capitale suédoise se passait dans toutes les grandes villes d’Occident.



   C’est le metteur en scène de Québec Alexandre Fecteau qui aura eu l’idée de porter cette œuvre de plus de 800 pages au théâtre que l’auteur avait aussi amené à la télé sous forme de mini-série dans son pays natal. C’est à l’autrice et comédienne Véronique Côté qu’on a confié la tâche colossale d’en tirer une adaptation qui aurait sans doute pu faire six heures mais qui, au final, fera presque trois heures trente. Parce que Véronique Côté a réussi à ne pas dénaturer l’œuvre tout en intégrant la douce poésie des narrations, en commençant par celles de Reine, le premier jeune homme du groupe que l’on rencontrera à quitter ce monde des suites de ce «cancer des homosexuels». Reine est interprété avec une sensibilité remarquable par Samuel La Rochelle qu’on veut juste prendre dans nos bras et réconforter.



   Parce que c’est ça, N’essuie jamais de larmes sans gants, cette production colossale du Trident et du collectif Nous sommes ici, compagnie fondée en 2008 à Québec par Fecteau, Frédérique Bradet, Geneviève Dionne et Raymond Poirier qui ne cesse d’oser et de proposer des projets audacieux. C’est une fresque dans laquelle on rencontre six jeunes hommes de différents horizons qui ont en commun leur homosexualité et leur vie partagée dans la maison de chambre, la commune, gérée par Paul (magistral Maxime Robin à la fois drôle, touchant, irrévérencieux), Duchesse de Langeais au centre de ses poussins. Comme dans le livre, le spectateur de théâtre suit l’histoire – les histoires – de tout ce beau monde et s’attache à ces personnages qui, au départ, ne savent pas qu’ils s’en vont dans le mur. Comme tant de gais qui ont été balayés par cette vague de virus que personne ne pouvait soupçonner au départ. Ça vous fait penser aux débuts de la COVID? Si le SIDA avait été attaqué comme les gouvernements ont permis que la COVID soit attaquée (avec des tonnes d'argent)…



   Alors on rencontre Rasmus (un Olivier Arteau attachant et criant de vérité), le jeune de la campagne qui débarque dans la grande ville pour vivre sa sexualité. Il s’amourachera de Benjamin (Maxime Beauregard-Martin, tellement nuancé et touchant), témoin de Jéhovah aux prises avec sa lutte entre sa foi et sa sexualité. Cette histoire digne de Roméo et Juliette est bouleversante, un amour fleuve que la maladie brisera mais qui permettra au spectateur de vivre de l’intérieur tout ce que les gais aux prises avec la maladie ont pu traverser.



Idem pour le bel amour entre Seppo et Lars-Ake (incarnés par le magnifique duo Laurent Fecteau Nadeau et Israël Gamache, tellement criants de vérité eux aussi). On est soufflé par le jeu d’Hugues Frenette et Érika Gagnon jouant les parents de Rasmus tout autant que par le duo Véronique Côté et Jonathan Gagnon qui incarnent les parents de Benjamin. Tous ces acteurs jouent aussi d’autres personnages, montrant la palette de leurs talents incommensurables. Gabriel Cloutier Tremblay (Bengt, le jeune acteur prometteur qui entre à l’école de théâtre et dont les rêves s’envoleront rapidement en fumée) et Carla Mezquita Honhon (tellement géniale dans chacun de ses personnages!) complètent cette distribution incroyable, accompagnée sur scène par quatre musiciens formidables qui soutiennent l’émotion avec leurs notes.




   Je me serai longuement étendu sur les interprètes virtuoses mais je m’en voudrais de ne pas souligner la mise en scène phénoménale, la scénographie géniale et la magie de la lumière et du son qui se marient si bien. On a droit ici à une production que l'on peut qualifier de chef d’œuvre sans exagérer.




   Après le Projet Polytechnique de Porte Parole au TNM, on a l’impression d’être dans un rêve de maniaque de théâtre avec la reprise à Montréal de N’essuie pas de larmes sans gants. Comme si les dieux du théâtre s’étaient consultés pour nous gâter au-delà de toute espérance avant les fêtes, mais en nous heurtant de plein fouet du même coup. On ne peut que les en remercier.




N’essuie jamais de larmes sans gants de Jonas Gardell

Traduction: Jean-Baptiste Coursaud et Lena Grumbach

Adaptation pour la scène: Véronique Côté

Mise en scène: Alexandre Fecteau

Direction musicale: Anne-Marie Bernard

Assistance à la mise en scène: Elizabeth Cordeau Rancourt

Interprétation: Olivier Arteau, Maxime Beauregard-Martin, Gabriel Cloutier Tremblay, Véronique Côté, Laurent Fecteau Nadeau, Hugues Frenette, Érika Gagnon, Jonathan Gagnon, Israël Gamache, Samuel La Rochelle, Carla Mezquita Honhon, Maxime Robin et les musiciens Anne-Marie Bernard (pianiste), Jean-François Gagné (violoniste), Marie-Loup Cottinet (violoncelliste) et Karina Laliberté (altiste)

Scénographie: Ariane Sauvé

Costumes: Emily Wahlman assistée d’Émilie Potvin

Éclairages: Elliot Gaudreau

Arrangement musicaux: Jean-François Gagné

Conception sonore: Miriane Rouillard

Accessoires: Jeanne Lapierre

Direction technique et régie: Julien Veronneau

Une production du Théâtre Le Trident en coproduction avec le collectif Nous sommes ici

Du 6 au 17 décembre 2023 (durée: 3h30 avec entracte)

Théâtre Jean-Duceppe, Place des Arts, Montréal

Photos: Stéphane Bourgeois

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