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«Le Vrai Monde?» de Michel Tremblay: Ce qui mérite d’être fait…

Dernière mise à jour : 7 juil. 2019

par Yanik Comeau (Comunik Média / Zone Culture)



Pour lancer sa sixième saison à la barre de la direction artistique du Trident, Anne-Marie Olivier programme enfin une pièce de Michel Tremblay, elle qui cherchait, selon son mot dans le programme, «laquelle monter» et avec qui. C’est à la suggestion de la comédienne Lise Castonguay (qui joue présentement dans Le reste vous le connaissez par le cinéma à Espace Go) qu’elle choisit Le vrai monde ?, une des œuvres les plus montées et les plus traduites de l’auteur incontournable.


Créée il y a 31 ans au même Théâtre du Rideau-Vert qui a donné naissance aux Belles-Sœurs il y en a cinquante, Le vrai monde? a été écrite, selon l’auteur, dans la foulée de sa culpabilité d’avoir vampirisé sa tante Robertine, l’héroïne de la pièce qui l’a rendu indépendant de fortune, Albertine, en cinq temps. Revisitant comme (presque) toujours son passé et celui des siens, Tremblay campe sa pièce en 1965, à la même époque où il espionnait sa mère, sa tante, sa grand-mère, ses voisines et invitait toutes ces femmes à un party de collage des timbres, rue Fabre. Ainsi, Claude, son alter ego, le fils de Madeleine (la sœur d’Albertine, doit-on le rappeler), vient de terminer l’écriture de sa première pièce et l’a fait lire à sa mère, contrairement à Tremblay dont la figure maternelle n’aura jamais été témoin de son art. Se sentant espionnée, trahie, vampirisée, anticipant son humiliation et celle de toute la famille sur la place publique, Madeleine est anéantie, blessée par le fils en qui elle mettait tant d’espoir.


Comme dans plusieurs de ses pièces, Michel Tremblay fait fi du temps et de l’espace. Dans Albertine, en cinq temps, ce sont les Albertines à cinq âges différents qui interagissent ensemble et avec leur sœur Madeleine intemporelle. Dans La Maison suspendue, ce sont trois générations d’une même famille qui cohabitent dans le chalet de Duhamel. Dans À toi, pour toujours, ta Marie-Lou (présentée à La Bordée à l’hiver 2017), ce sont les parents morts dans un accident de «machine» qui reviennent en quelque sorte hanter leurs filles. Dans Le vrai monde?, Tremblay fait vivre parallèlement la «vraie» famille de Claude et la «fictive», celle qu’il a créée mais de laquelle il ne s’est peut-être pas assez distancé pour éviter les malaises.



On ne dira jamais assez combien cette pièce est brillamment écrite, tant au niveau de sa structure qu’au niveau de ses monologues et dialogues, plusieurs devenus des pièces d’anthologie. Qui peut oublier la fameuse phrase de Madeleine I à son fils : «Si t'as jamais entendu le vacarme que fait mon silence, Claude, t'es pas un vrai écrivain !» ?



Si on ne se lasse pas de lire, de voir ou de revoir cette pièce qui n’a pas pris une ride depuis sa création, il reste qu’il faille néanmoins la confier à des mains habiles. Après avoir vu la production pilotée par René Richard Cyr (chez Duceppe à Montréal en 2007 et reprise en tournée l’année suivante, avec Benoît McGinnis, Marie-France Lambert et Josée Deschênes, entre autres), mes attentes étaient élevées. La mise en scène de Marie-Hélène Gendreau à elle seule est un véritable master class de cohésion et de vision artistique. Plantée dans un décor de maison moderne dernier cri pour les années 60s (sublime et ingénieuse scénographie d’Ariane Sauvé), la production que propose Gendreau, baignant par moments dans des éclairages et des vidéos psychédéliques tout autant que dans des «toiles de fond vivantes» qui rappellent les aquarelles de Tremblay lui-même (présentées comme des .gifs pour dire les choses de façon moderne) créés par Keven Dubois, est absolument sans faille. La famille I et la famille II non seulement cohabitent-elles mais s’entrecroisent, s’observent, se suivent du regard avec compassion, tristesse et impuissance.



Défendue par une distribution de premier niveau, la pièce est particulièrement bien servie par Nancy Bernier (époustouflante en Madeleine I), Ariel Charest (tellement juste, touchante et troublante à la fois en Mariette II, la sœur version fictive de Claude) et Jean-Denis Beaudoin qui chausse dignement les «suyers» précédemment portés par Serge Mandeville, Patrice Coquereau et McGinnis, entre autres.


Ce qui m’épatera toujours d’une bonne production d’un Tremblay, c’est sa capacité à provoquer un dialogue avec mon adolescente de 15 ans. Cette nouvelle mouture de Le vrai monde? aura été son cinquième Tremblay et ce que Marie-Hélène Gendreau nous offre au Trident passera à l’histoire tout en consolidant sa position comme une de nos grandes metteures en scène, chirurgienne de la direction d’acteurs et vénérable capitaine.

*** Le Vrai Monde? de Michel Tremblay Mise en scène: Marie-Hélène Gendreau Avec Jean-Daniel Beaudoin, Nancy Bernier, Claude Breton-Potvin, Ariel Charest, Jean-Michel Déry, Christian Michaud et Anne-Marie Olivier. Production du Théâtre du Trident. 18 septembre au 13 octobre 2018 (durée : 1h50 sans entracte) Supplémentaire le 9 octobre 2018 à 19h30 Salle Octave-Crémazie, Grand Théâtre de Québec, 269, boulevard René-Lévesque Est, Québec. Billets: 418-643-8131 ou 1 877 643-8131 (sans frais au Québec) Pour plus d’informations : https://www.letrident.com/ Photos : Stéphane Bourgeois

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