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«Rose et la machine» de Maude Laurendeau: Santé? Mental!

par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)


Quand Maude Laurendeau a approché Annabel Soutar des Productions Porte Parole avec son projet d’écrire une pièce de théâtre documentaire sur le tortueux labyrinthe dans lequel elle se trouvait parachutée au cœur du système de santé suite au diagnostic de sa fille Rose, soudainement marquée au fer rouge avec un TSA (trouble du spectre de l’autisme) par la société qui l’entourait, la femme de théâtre derrière Import / Export, Sexy Béton, Fredy et J’aime Hydro avait un carnet de projets beaucoup trop garni pour en ajouter un autre. Pourtant, comme on l’apprend dans Rose et la machine, le sujet était trop gros, trop beau, trop vrai, trop humain pour que le «non» initial soit définitif.



Après une série de représentations du percutant et touchant Tout inclus de François Grisé, les codirecteurs de Duceppe Jean-Simon Traversy et David Laurin s’associent à nouveau à Porte Parole pour proposer le tout aussi pertinent et bouleversant Rose et la machine, dans la plus pure tradition de Porte Parole sans pour autant tomber dans une quelconque formule. Maude Laurendeau, comédienne, et son conjoint (mais surtout Maude si l’on se fie au spectacle et c’est un des questionnements qui reste après le spectacle) voient leur vie basculer lorsque de petits drapeaux rouges dans les comportements de leur première née, Rose, deviennent des signes de plus en plus clairs que «quelque chose n’est pas normal». Pendant près de deux heures, Maude narrera et jouera sa propre histoire «tout à travers un dédale» de chemins et de ruelles étroites et étouffantes, celui de notre système de santé, mais pire encore, celui de notre système de santé mentale.



Pour théâtraliser les heures de témoignages verbatim enregistrés par Maude au fil des mois, la brillante metteure en scène Édith Patenaude et le scénographe Patrice Charbonneau-Brunelle ont pensé un dispositif scénique ingénieux, véritable parcours à obstacles avec pistes tracées au sol au tape vert, celui qu’on utilise pour masquer les coins lorsqu’on peinture et qu’on ne veut pas dépasser. Maude et sa partenaire de jeu, l’incroyable Julie Le Breton qui atteint ici un nouveau niveau de virtuosité en interprétant plus d’une quarantaine de personnages, hommes, femmes, enfants, certains pendant quelques secondes seulement, monteront sur des cubes, des formes qui représentent des meubles, marcheront sur «les lignes vertes» comme des fils de fer, jusqu’à ce que, comme libérées du carcan, elles ne respecteront plus les limites, les balises, les normes imposées par la société. La symbolique est riche et frappante, d’une efficacité à la fois étrangement ludique et clairement troublante.



Bien que le spectateur sache qu’il est plongé au cœur d’une thématique qui pourrait s’avérer drue et ardue – qui l’a clairement été pour celle qui a eu à la vivre – jamais il n'est plongé dans une didactique ennuyeuse. Encore une fois, l’auteure et son «soutien dramaturgique» (Annabel Soutar) créent un objet théâtral vivant et palpitant, un véritable parcours humain qui, malgré les statistiques, demeure divertissant et lumineux. On s’en étonne même et on se demande si on ne devrait pas se sentir coupable d’avoir été diverti par un tel sujet ! Mais c’est là toute la richesse et la beauté de la démarche, tant sociale qu’artistique.



Pour revenir à l’interprétation, on est soufflé par ce tour de force de Julie Le Breton qui, après la «quasi-autiste» Béatrice de La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé de Michel Marc Bouchard au TNM avant la pandémie, revient sur scène plus en forme que jamais, comme si elle avait profité du confinement pour entraîner chaque muscle de son talent pour l’ultime Olympiade que lui propose Rose et la machine. Jouant avec autant de finesse et de doigté les personnages les plus caricaturaux que les plus sérieux, basculant efficacement (après tout, on connaît autant la Julie de Mauvais Karma et Les Beaux Malaises que celle de Toute la vérité et Les Pays d’en haut) entre le comique et le déchirant, elle multiplie les accents et les inflexions de voix avec brio. On sent les clins d’œil lorsqu’elle joue Annabel et d’autres personnages et on sent tout le respect et l’amour quand elle joue les deux jeunes autistes, un garçon et une fille, nous faisant rire à travers nos larmes. Un véritable master class.


Le fait que Julie Le Breton soit la marraine de Rose, la belle-sœur de Maude Laurendeau, ne fait qu’ajouter une touche de réalisme à ce tout déjà si complet, si rassasiant à tous les niveaux. Avec Rose et la machine, la compagnie Porte Parole atteint elle-même un nouveau sommet de virtuosité en théâtre documentaire.



Rose et la machine de Maude Laurendeau

Dramaturgie: Annabel Soutar

Mise en scène: Édith Patenaude

Assistante à la mise en scène et régie: Caroline Boucher-Boudreau

Avec Maude Laurendeau et Julie Le Breton

Décor: Patrice Charbonneau-Brunelle

Assistante au décor: Margot Lacoste

Costumes: Estelle Charron

Éclairages: Julie Basse

Musique originale et environnement sonore: Frédéric Auger

Une création et production Porte Parole

Du 17 novembre au 18 décembre 2021 (durée: 1h55 sans entracte)

Théâtre Jean-Duceppe, Place des Arts, Montréal.

Info : https://duceppe.com/rose-et-la-machine/

Photos: Danny Taillon

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