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Théâtre: «La Femme la plus dangereuse du Québec»: Parce qu’on oublie trop vite

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)

La poète québécoise Josée Yvon aura été une météorite dans le firmament littéraire de chez nous. Morte trop vite à l’âge de 44 ans de complications liées au SIDA, elle aura laissé «vingt-quatre boîtes remplies de correspondances, demandes de subventions, dossiers médicaux, quinze versions de manuscrits magnifiques…», entre autres, en plus de quelques récits et recueils publiés, des œuvres qui font école et qui sont nées au cœur d’une des périodes les plus foisonnantes de la création québécoise.



Conjointe du poète Denis Vanier pendant plusieurs années, Josée Yvon a aussi été metteure en scène au sein du Théâtre Sans Fil et au cœur du Grand Cirque Ordinaire. Elle a enseigné la littérature dans trois cégeps après avoir terminé ses études en théâtre à l’UQAM. Quand je vous dis qu’elle était là quand tout se passait.


Que le metteur en scène Maxime Carbonneau et les comédiens/artistes de théâtre Dany Boudreault et Sophie Cadieux aient voulu explorer l’œuvre de cette grande «oubliée» après avoir eu la curiosité piquée par Travesties-Kamikaze (Les Herbes Rouges) n’a rien d’étonnant. Josée Yvon avait une voix. Elle avait quelque chose à dire et il faut qu’elle soit entendue. Pas tout le monde voudra l’entendre et bien des gens se passeraient de la violence – parfois franchement gratuite – qu’elle emprunte pour transmettre ses messages, mais Josée Yvon s’est éteinte trop jeune pour qu’elle ait eu la chance de vraiment préciser sa pensée, enligner sa galère, pointer sa barque dans la direction de son choix.

Qu’à cela ne tienne, Sophie Cadieux (que l’on connaît bien pour son jeu au théâtre et à la télé – Rumeurs, Lâchez Prise…, mais qui a aussi eu une résidence d’artiste marquante à l’Espace Go) et Dany Boudreault (dont j’avais beaucoup apprécié le ( e ) au Théâtre d’Aujourd’hui il y a quelques années) réunissent trois artistes paumés dans un appartement délabré du quartier que l’on devine celui où Josée Yvon a vécu toute sa vie (celui que les «gentrificateurs» appellent maintenant HoMa) pour échanger sur l’œuvre de leur idole, leur défunte guru. Une d’elle en particulier, complètement obnubilée par son amour pour les mots de la poète et profondément amoureuse de celle qui sera partie trop tôt, semble consacrer sa vie à faire connaître tout ce qu’a été Josée Yvon.

Dans une série d’habiles flashbacks et flash forwards, un trio d’acteurs, la sublime Nathalie Claude (que j’avais tant aimée dans l’adaptation théâtrale qu’elle avait faite avec Lin Snelling de LIMBES/LIMBO de Nancy Huston, inspiré de l’œuvre de Samuel Beckett – un bijou de spectacle), la généreuse Ève Pressault et l’intense Philippe Cousineau (vous rappelez-vous du méchant dans Marguerite Volant ?), se livre à une puissante charge émotive, s’abandonnant aux mots de Josée Yvon (Nathalie Claude la réincarne d’ailleurs dans certains des moments les plus forts du spectacle) et à ceux de Denis Vanier (Philippe Cousineau le ressuscite lui aussi avec une énergie qui donne des frissons dans le dos).



Clairement trash, un choix de mise en scène qui s’imposait pour nous ramener aux années 70s et au début de l’ère post-référendaire, le spectacle proposé par La Messe Basse frappe dans le mile en évitant les pièges du didactisme ou de l’hommage biographique trop académique. La Femme la plus dangereuse du Québec pique la curiosité, donne le goût d’aller à la bibliothèque, de revisiter (ou de visiter pour la première fois) une époque de la poésie québécoise qui aura changé bien des choses. Le spectacle aurait pu nous en donner davantage sur la place historique de ce duo d’enfer dans notre littérature, mais il serait alors tombé dans le piège de s’allonger, de s’éterniser, d’aller au-delà de ce que le client demandait (ou plutôt requérait).




Dans un décor efficace d’Odile Gamache, des éclairages ingénieux de Julie Basse et un univers musical finement conçu par Navet Confit, Maxime Carbonneau et ses comédiens ont développé un spectacle qui frappe fort tout en ne négligeant pas l’œuvre derrière, le message, la poésie. Toujours mieux quand la forme ne noie pas le fond.

Josée Yvon aura-t-elle vraiment été La Femme la plus dangereuse du Québec ? On pourrait en discuter longtemps… mais n’est-ce pas là, aussi, le rôle du théâtre ? Provoquer des discussions ? Pousser plus loin la réflexion ?


La Femme la plus dangereuse du Québec Adaptation des archives et des textes de Josée Yvon et Denis Vanier Par Dany Boudreault et Sophie Cadieux Mise en scène : Maxime Carbonneau Avec Nathalie Claude, Philippe Cousineau et Ève Pressault Une production de La Messe Basse 10 au 28 octobre 2017 (1h20 sans entracte) Salle Fred-Barry (Théâtre Denise-Pelletier), 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal Réservations : 514-253-8974 Photos : Gunther Gamper

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