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«Doggy dans Gravel»… et partout ailleurs aussi !

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)


Il y a de ces titres qui laissent perplexe. Doggy dans Gravel est définitivement de ceux-là et l’auteur et metteur en scène Olivier Arteau semble s’en féliciter dans le programme du spectacle en disant : «Pis pour ceux qui avaient pas compris, DOGGY DANS GRAVEL ça veut dire…[…]» Une coquetterie ? Une tentative d’hermétisme, de complicité avec «les seuls qui peuvent comprendre» ? Chacun aura son interprétation.



Mais Doggy dans Gravel, un spectacle du Théâtre Kata, d’abord présenté au Festival St-Ambroise Fringe en 2015 avant d’être repris à Premier Acte à Québec en 2016 et «recruté» pour ouvrir la saison 2017-2018 de la salle Fred-Barry par le directeur artistique de la NCT Claude Poissant, c’est beaucoup plus qu’un titre. C’est, encore comme le dit l’auteur, «un gros melting pot d’autodérision», une série de tableaux plus ou moins clairement rattachés les uns aux autres, mais rigoureusement écrits et vigoureusement défendus par une distribution béton.


Doggy dans Gravel, c’est Maverick, un adolescent que sa mère (l’incomparable Marie-Josée Bastien, comédienne, auteure, metteure en scène, directrice artistique de Québec, qu’on a le plaisir d’entendre régulièrement en lectures à l’émission Médium Large à la Première Chaîne d’ICI Radio-Canada) rebaptise de petits noms d’animaux cute, qui prendra la mean girl Kathleen Gravel dans un champ de quelque chose (le blé serait plus romantique, le maïs un peu moins, mais on s’entend-tu que c’est du gros foin sec et dru qui pousse autour de l’École secondaire Soulanges à Saint-Polycarpe, près de la frontière de l’Ontario ?) et la finira sans doute doggystyle, à l’aube, au lendemain d’un bal de finissants « mémorable » (ne le sont-ils pas tous ?) mais un après-bal encore plus… après-bal que nature.


Cet après-bal, complètement désorganisé et sans règles, sera le théâtre de bien des abus et excès (langagiers, physiques, alcooliques, nommez-les !) et, comme plusieurs dans la vraie vie, dont celui de l’auteur, selon ce qu’il a raconté en interview, ne sera pas mémorable au sens propre (ni au sens sale) parce que quelques-uns des participants ne se souviendront de pas grand-chose. Les spectateurs cependant en garderont bien des souvenirs. Ils peineront à oublier la détresse de ces jeunes qui pensent que c’est ça, la vie. Olivier Arteau peint clairement une caricature un peu absurde, mais malheureusement pas très loin de la réalité actuelle. L’Éveil du Printemps sur l’acide ? Ce serait trop facile. Mais mon adolescente, qui m’accompagnait jeudi dernier et qui s’est régalée de toute cette démesure, se penchant vers mon oreille pour me souffler : «On n’est pas tous comme ça, papa.» ? Oui. Je le sais. Heureusement qu’il y en a, comme toi, mon trésor, qui êtes assez forts pour résister à cette grossière transformation qu’aimeraient vous faire subir les générations précédentes qui s’exclament «Ah la jeunesse d’aujourd’hui!» comme toutes les générations avant elles, mais qui vous poussent vers la déshumanisation, l’hypersexualisation et la fausse hyper socialisation en vous faisant croire que vous êtes maîtres de votre destin, plus que ceux qui vous ont précédés.



Doggy dans Gravel, c’est une critique de la race humaine, de ce qu’elle devient de plus en plus, de toutes les générations, parce que plus ça change, plus c’est pareil. Olivier Arteau est un peu plus vieux que ceux et celles qu’il dépeint et c’était peut-être « un peu moins pire » dans son temps (même pas dix ans plus tôt ?), mais les émotions, les désirs, les besoins, les pulsions étaient les mêmes. Depuis toujours. C’est seulement qu’à l’époque de son père et de son grand-père, on ne s’attendait pas à voir apparaître la vidéo de la fille inconsciente qui se fait violer, le lendemain, sur les réseaux sociaux.


Alors qu’au début du spectacle, on s’imagine que les cinq scouts qui décident de crasher l’après-bal qui n’est pas le leur seront en quelque sorte nos yeux et nos oreilles, témoins de la décadence et de la déchéance de ces finissants hors de contrôle, ils deviennent rapidement partie prenante de cette bacchanale et se « déniaisent » sur un vrai temps.



Doggy dans Gravel est un spectacle peaufiné, achevé, réglé au quart de tour malgré son apparence de melting pot, de gros « n’importe quoi ». Les tableaux visuels, les numbers de mouvement, de danse sont à couper le souffle. Inspirés et inspirants. La mise en scène est truffée de délicieuses trouvailles de tout acabit qui donnent au spectacle toute sa fraîcheur, tout son tranchant, au-delà du langage cru et grossier qui ne l’est plus vraiment parce qu’on y est trop habitué. Ça ne veut pas dire que la langue d’Olivier Arteau n’est pas pertinente. Au contraire. Elle est juste, acérée, imagée, belle à sa façon, poétique à sa façon, vraie, sincère, directe, pathétique et touchante. Oui, tout ça à la fois.


Les interprètes sont tous des maîtres, en pleine possession de leurs moyens, physiques et intellectuels, malgré leur jeune âge, leurs jeunes carrières. Il faut souligner les performances particulièrement délicieuses de Vincent Roy, qui joue le scout gai à la fois lubrique et romantique et qui ne recule devant rien, nous entraînant dans son invraisemblable histoire d’amour avec le Gars Populaire de l’école, le joueur de football, le jock. Formidable. J’ai eu une pensée pour Simon et Vallier, les jeunes amoureux de Les Feluettes de Michel Marc Bouchard… malgré le clin d’œil de ‘Scout 4’ à la télé-réalité RuPaul’s Drag Race qui a fait glousser mon adolescente de bonheur.


J’ai aussi adoré les performances d’Olivier Arteau (remplaçant un comédien blessé, nous a-t-on annoncé avant le début de la représentation), Ariel Charest dans le rôle de Kimberley-la-leader-des­-mean-girls, Angélique Patterson (une autre fille) et Dayne Simard (Maverick) qui, à mon sens, ressortent dans une distribution impeccable qui, aux Screen Actors Guild Awards, recevrait une nomination pour ‘Outstanding Performance by an Ensemble’ si Doggy dans Gravel était un film ou une série dramatique.


On peut aimer ou ne pas aimer Doggy dans Gravel, son attitude in your face, son côté décousu, son langage… mais on ne peut lui reprocher quoi que ce soit comme objet théâtral. Malgré ses apparences de caillou sale plein de mousse pis de bouette pis de vomi pis de pisse pis de sang, c’est un diamant magnifiquement bien taillé, une pierre impoliment polie mais tranchante, un bijou qui crée de l’envie et qui provoque des conversations.


Doggy dans Gravel Texte et mise en scène : Olivier Arteau Avec Olivier Arteau (29 août au 1er septembre), Marie-Josée Bastien, Ariel Charest, Gabriel Cloutier Tremblay, Jean-Philippe Côté, Étienne d’Anjou, Miguel Fontaine (5 au 16 septembre), Angélique Patterson, Steven Lee Potvin, Pascale Renaud-Hébert, Vincent Roy, Nathalie Séguin et Dayne Simard. Une production du Théâtre Kata Jusqu’au 16 septembre 2017 à 19h30 (vendredi : 20h30, samedi : 16h30) (durée 1h50 sans entracte), Salle Fred-Barry (Nouvelle Compagnie Théâtrale), 4353, rue Sainte-Catherine Est, Montréal Réservations : 514-253-8974

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