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Théâtre: «Ceux qui se sont évaporés» de Rébecca Déraspe: Vapeur d’anges

Dernière mise à jour : 4 mai 2022

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)

Créée en mars 2020 et brutalement interrompue par le premier confinement, Ceux qui se sont évaporés de Rébecca Déraspe a néanmoins pu se mériter le Prix Michel-Tremblay et l’honneur du Meilleur Texte – Montréal aux Prix de l’Association québécoise des Critiques de Théâtre, celle-ci affirmant que le texte était «adroit, troublant et touchant». Résumer cette partition sublime par trois adjectifs aussi banals est «maladroit, bizarre et froid» dixit moi.



Reprise ces jours-ci dans la nouvellement rebaptisée Salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, là où elle a été créée il y a deux ans, avec la même distribution de huit comédiens (un tour de force avec tout ce que la pandémie a chamboulé comme horaires et calendriers !), je revoyais vendredi Ceux qui se sont évaporés, dernière pièce à laquelle j’avais assisté avant que tout s’arrête, et j’en venais à la conclusion que cette pièce dense, riche, saisissante, poétique méritait tous les lauriers, toutes les fleurs que l’on a lancés et que l'on lancera dans sa direction.



Inspirée par le fait que quelque 100 000 personnes disparaissent volontairement au Japon chaque année, s’évaporent par choix, fuient leur vie avec succès ou non – comme Sarah Berthiaume s’est inspirée du Japon pour Nyotaimori –, Rébecca Déraspe a d’une part usé de l’excellent prétexte du groupe de soutien pour «survivants de disparus» qui devient d’autre part un groupe de disparus qui témoignent et enfin l'histoire de la famille et des amis d’une disparue, Emma Ranger - rangée en effet -, une jeune femme qui a toujours fait les choses comme il fallait et qui, un jour, décide de s’évaporer, laissant tout derrière elle… et les conséquences de tout ça.



Plongeant au cœur même de l’existence humaine dans une scène d’ouverture, un prologue qui fait à la fois chœur et jeu d’association d’idées en séance de thérapie, Rébecca Déraspe projette ses protagonistes dans une spirale de mots délirante qui installe la virtuosité de cette distribution dès les premières minutes. Le spectateur prendra un moment avant de saisir qui est qui, qui fait quoi, quel est le rôle de chacun dans l’histoire de… Puis, là où l’on explorait l’humanité universelle, on creuse dans la vie d’Emma, de sa naissance – et même avant – à maintenant… et au-delà.



La mise en scène de Sylvain Bélanger, dépouillée et à l’apparence improvisée, est plutôt d’une efficacité redoutable. On devine un travail de table minutieux, un soin incroyable accordé à soutenir ses interprètes qui, malgré la lourdeur du sujet, ont trouvé de la lumière et alimenté une complicité qui transparait et rejoint le spectateur.



Et cette distribution! Geneviève Boivin-Roussy, cette Emma, au cœur de tout, dont l’interprétation est toute en couches de nuances; un regard, une larme, un sourire qui traduit la lassitude, un autre qui traduit la mélancolie, une souplesse tant dans le corps que dans la voix. Vincent Graton et Josée Deschênes, complices des dix mille saisons de L’Auberge du Chien Noir, incarnant les parents/grands-parents avec une vérité qui coupe le souffle, mordant tout autant dans l’humour et les idées arrêtées que procure l’auteure à leurs personnages que dans le profond désespoir et la culpabilité inhérents à la perte d’un enfant, peu importe son âge. Élisabeth Chouvalidzé, tout aussi souple et énergique à presque 86 ans qu’à presque 84, incarnant la grand-mère d’Emma et une évaporée qui témoigne de son histoire. Reda Guerinik excellent dans le rôle du mari parfait, du papa parfait... avec failles. Maxime Robin et Tatiana Zinga Botao qui multiplient les personnages et font rebondir ces dialogues choraux avec une efficacité redoutable. Et enfin, Éléonore Loiselle – jeune comédienne au talent formidable – qui viendra mettre la plus parfaite des cerises sur le plus délicieux des gâteaux, livrant, avec Geneviève Boivin-Roussy comme la plus extraordinaire des caisses de résonance, un monologue qui devient un véritable master class à tous les points de vue.



Encore plus soufflé que lorsque je l’avais vue il y a deux ans, je suis sorti de cette représentation complètement exalté par la magie à laquelle je venais d’assister. Je n’ai pas été capable de parler des interprètes et de ce qu’ils venaient de m’offrir sans pleurer devant tant de beauté. Ceux qui se sont évaporés s’inscrit parmi ces quelques spectacles parfaits que l’on voit dans une vie, ces quelques pièces qui touchent chacun des points d’acupuncture et qui ne nous quittent plus.



Ceux qui se sont évaporés

Texte: Rébecca Déraspe

Mise en scène: Sylvain Bélanger

Interprétation: Geneviève Boivin-Roussy, Élisabeth Chouvalidzé, Josée Deschênes, Vincent Graton, Reda Guerinik, Éléonore Loiselle, Maxime Robin et Tatiana Zinga Botao

Assistance à la mise en scène et régie: Julien Veronneau

Scénographie et éclairages: Cédric Delorme-Bouchard

Costumes : Julie Charland assistée de Yso

Musique originale: Larsen Lupin

Conseil au mouvement : Francis Ducharme

Une création du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Du 3 au 28 mars 2020 interrompues le 12 mars (1h50 sans entracte)

Reprise: 14 avril au 7 mai 2022 (mardi 19h, mercredi au vendredi 20h, samedi 16h) *** Supplémentaire: Samedi 7 mai 20h

Salle Michelle-Rossignol – Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, 3900, rue Saint-Denis, Montréal

Billetterie: 514-282-3900 poste 1

Photos : Valérie Remise

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