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«Les Serpents» de Marie NDiaye: Qui sont ces vipères ?

par Yanik Comeau (Comunik Média)

Au fil des années – et depuis plus de trente-cinq ans –, le Théâtre de l’Opsis, avec ses cycles théâtraux, a su créé un fascinant mélange entre les textes «classiques» réinventés ou revisités (Tchekhov, Shakespeare, Sophocle, Euripide…) et les voix nouvelles (Sarah Ruhl, Paula Vogel, Jonas Hassen Khemiri, Audur Ava Ólafsdóttir…). Certains de ces cycles avaient clairement pour but de dépoussiérer des classiques en y jetant un nouveau regard, en projetant une nouvelle lumière sur des histoires intemporelles, d’autres sont résolument tournés vers le défrichage et la découverte des dramaturgies internationales qui méritent de rayonner. Avec Les Serpents de Marie NDiaye, auteure franco-sénégalaise, on est clairement dans la découverte, le profond désir de faire entendre de nouvelles voix. Bienvenue dans le cycle Territoires Féminins.



Présentée à Espace Go, la descendante du Théâtre Expérimental des Femmes, qui semble revenir aux sources après s’être faite reprocher un certain égarement ces dernières années, Les Serpents est une troublante fable qui pourrait s’apparenter aux versions non-Disney-esques des contes de Grimm mais qui oscille de façon déstabilisante entre réalisme et fantaisie. L’écriture de la fascinante NDiaye, dont la poésie et les répliques incisives sont absolument délicieuses, nous amène parfois dans un univers qui frôle Ionesco avant de bifurquer vers Beckett puis de balancer autant dans David Lynch que Jean-Michel Ribes ou Roland Dubillard. Il ne faudrait pas que ces comparaisons ou le lien que l’on a fait avec Barbe-Bleue laissent sous-entendre que l’auteure n’a pas sa voix à elle. Bien au contraire. Bien que la pièce fasse frissonner par moments et déstabilise le spectateur du début à la fin, on jubile à découvrir la fraîcheur de cette écriture singulière.



Luce Pelletier signe une mise en scène sobre et au service du texte. La scénographie de Francis Farley-Lemieux, à qui elle avait aussi fait appel pour Strindberg la saison dernière, bien servie par les lumières de Marie-Aube St-Amant Duplessis et la musique de Catherine Gadouas, aide à transmettre à la fois la chaleur accablante de ce 14 juillet au milieu de notre novembre particulièrement froid et l’atmosphère glaciale que crée le fils de Madame Diss, ex-mari de Nancy, conjoint de France que l’on ne verra jamais mais qui ne quittera jamais notre imaginaire pour autant.



La directrice artistique et metteure en scène n’aurait pas pu mieux choisir ses interprètes. Le trio d’actrices, formé de la sublime et fine Isabelle Miquelon (Madame Diss), une des muses de l’Opsis, l’énergique et saisissante Catherine Paquin-Béchard (que j’avais découverte dans Manifeste de la Jeune-Fille et qui continue de me souffler de performance en performance) et la vibrante Rachel Graton, donne toute la dimension et la profondeur requises par ces personnages surdimensionnés. Ces performances époustouflantes laissent bouche bée. On sort vidé de la représentation et on se demande comment les comédiennes pourront remettre ça le lendemain.



Les Serpents est une de ces expériences théâtrales uniques pour lesquelles vivent les grands mordus de théâtre. Un texte vif et exigeant, et des performances inoubliables enveloppées dans une scénographie envoûtante qui complète harmonieusement le tableau. Un tableau qui peut aussi rappeler Monet, comme me le faisait remarquer une amie artiste et artisane du milieu théâtral.


Les Serpents Texte : Marie NDiaye Mise en scène: Luce Pelletier Assistance à la mise en scène: Claire L’Heureux Dramaturgie: Myriam Stéphanie Perraton-Lambert Avec Rachel Graton, Isabelle Miquelon et Catherine Paquin-Béchard Scénographie: Francis Farley Lemieux Lumières: Marie-Aube St-Amant Duplessis Costumes: Caroline Poirier Musique: Catherine Gadouas Maquillages et coiffures: Sylvie Rolland Provost Une production Théâtre de l’Opsis 12 novembre au 7 décembre 2019 (durée : 1h25 sans entracte) Espace Go, 4890, boulevard Saint-Laurent, Montréal. Billets: 514-845-4890

Photos: Caroline Laberge

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