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«Strindberg»: Déconstruire le misogyne derrière le génie


par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)



Avec ses cycles théâtraux (états-unien, Oreste, Tchekhov, italien, scandinave…), le Théâtre de l’Opsis ne s’est jamais limité à monter que des pièces tirées desdits répertoires mais a développé des laboratoires de création autour d’auteurs, de dramaturgies, de thématiques. Parfois, ces explorations allaient très loin (on pense au reality show autour d’Oreste, au Je suis une mouette (non, ce n’est pas ça), tous deux pensés par Serge Denoncourt ou aux États-Unis vus par… mis en scène par Luce Pelletier dans lequel huit auteurs proposaient textes et chansons réunis dans un même spectacle) comme c’est le cas encore avec le Strindberg pensé par la même Luce Pelletier qui a invité neuf auteures québécoises à se pencher sur la correspondance du père de la dramaturgie scandinave moderne, sur sa relation avec ses trois femmes (les comédiennes Siri Von Essen et Harriet Bosse et la journaliste Frida Uhl) et sur sa misogynie notoire.



Le résultat ? Le dernier spectacle du cycle scandinave est une fascinante étude de personnages pas trop didactique et d’une fluidité remarquable. Dans son collage/montage des textes d’auteures de générations et de milieux différents (de Catherine Léger à Suzanne Lebeau en passant par Marie-Louise Bibish-Mumbu et Anaïs Barbeau-Lavalette), la directrice générale et artistique de l’Opsis glisse des extraits d’œuvres phares et de pièces moins connues de Strindberg illustrant combien sa personnalité et sa relation trouble avec la gent féminine transpirait dans son écriture. Joués par le jeune Christophe Baril et les trois interprètes des femmes du dramaturge (Isabelle Blais, Marie-Pier Labrecque et Laurianne B. Thibodeau), ces courts extraits viennent ponctuer, enrichir et accentuer le propos.



Dans un décor épuré, stylé et soigné créé par Francis Farley Lemieux qui rappelle celui de Jean Bard pour Le Mystère Carmen au TNM cet hiver, Jean-François Casabonne – en Strindberg mourant, revenant sur sa vie courte mais tumultueuse, et plus jeune dans des flashbacks où il interagit même avec lui-même adolescent et jeune adulte dans une incarnation d’une belle naïveté et d’une touchante vérité de Christophe Baril – est entouré d’un trio d’actrices solide que Luce Pelletier utilise aussi très efficacement comme chœur représentant La Femme. Casabonne est un de nos grands acteurs et, encore une fois, il crée un personnage auquel on réussit à s’attacher malgré le fait que l’on souhaite constamment le battre quand on le voit manipuler et user de son talent pour les mots pour séduire, tromper, arriver à ses fins.



Il faut ici souligner la saison exceptionnelle que vient de connaître Marie-Pier Labrecque, elle qui s’est attaquée à des personnages légendaires en commençant par la Femme de Curley dans Des Souris et des hommes chez Duceppe, Chrysothémis dans Électre et Nora dans Une Maison de poupée d’Ibsen (un autre auteur scandinave important !). Isabelle Blais, pour sa part, a commencé la saison dans Oslo chez Duceppe et la termine à Espace Go dans un rôle qu’on croirait écrit sur mesure pour elle. La jeune Lauriane S. Thibodeau, qui a déjà laissé sa marque dans la mémorable Bonne retraite, Jocelyne de Fabien Dupuis à La Licorne et au Trident, ne laisse pas sa place et impressionne par sa force et son énergie, entourée de locomotives qui n’ont plus à faire leurs preuves. Impressionnant.


Strindberg clôt donc en beauté un cycle scandinave inégal mais pas du tout inintéressant ainsi qu’une saison assez fascinante à Espace Go où des personnages féminins forts ont brillé de tous leurs feux. On a parfois reproché à Espace Go de s’éloigner de la mission du Théâtre Expérimental des Femmes qui lui a donné vie. Est-ce que Ginette Noiseux se recentre sur l’argument de base de la fondation de l’institution ou était-ce l’affaire d’une saison? Il faudra voir, mais les choix de 2018-2019 ont néanmoins été parlants.


Strindberg, collectif de l’Opsis Textes de Rachel Graton, Catherine Léger, Jennifier Tremblay, Marie-Louise Bibish-Mumbu, Suzanne Lebeau, Anaïs Barbeau-Lavalette, Anne-Marie Olivier, Véronique Grenier et Emmanuel Jimenez (avec des extraits de plusieurs œuvres d’August Strindberg) Mise en scène et montage du texte: Luce Pelletier Assistance à la mise en scène: Claire L’Heureux Conseils dramaturgiques: Stéphane Lépine et Pierre-Yves Lemieux Avec Isabelle Blais, Marie-Pier Labrecque, Christophe Baril, Jean-François Casabonne et Laurianne S. Thibodeau. Scénographie: Francis Farley Lemieux Éclairages: Jocelyn Proulx Costumes: Sarah Balleux Musique: Catherine Gadouas Mouvement: Frédérick Gravel Maquillages et coiffures: Sylvie Rolland Provost Une production Théâtre de l’Opsis 23 avril au 12 mai 2019 (durée : 1h40 sans entracte) Espace Go, 4890, boulevard Saint-Laurent, Montréal. Billets: 514-845-4890 Photos : Olivier Hardy

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