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Théâtre: «La Blessure» de Gabrielle Lessard: La Démesure de l’usure

par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)

Avec sa deuxième pièce, La Blessure, présentée ces jours-ci à Espace Libre, l’auteure et metteure en scène Gabrielle Lessard installe clairement son ton, sa voix, son genre. Comme les Catherine Léger, Catherine Chabot, Sarah Berthiaume, elle a un style bien à elle mais, comme plusieurs des filles de sa génération, pose un regard critique et caustique sur la vie et l’humain.e qui l'entoure tout en attaquant ses sujets avec humour et répliques assassines, mémorables.


Traité de cancer avec humour ? Les humoristes vous diront qu’on prend traiter de tout, «ça dépend toujours comment». Dans La Blessure, Gabrielle traite certes de cancer mais bien au-delà à tel point que la maladie bien à la vue dans les premières minutes, ce cancer qui plombe Anne (formidable Marie-Anick Blais de qui je découvre ici l’incroyable dégaine, rythme, timing comique après l’avoir appréciée dans la plus noire Table rase de Catherine Chabot au sein de ce même Espace Libre) et la happe comme dans les commerciaux où les gens revolaient par en-arrière en recevant leur diagnostic, laissera rapidement la belle place aux relations amoureuse, familiales, amicale pas réglées, aux abcès qui exigent d’être crevés.


D’abord, Anne devra faire face à son amoureuse (Eve Duranceau, tellement naturelle, tellement vraie, humaine) à qui elle annonce qu’elle refuse les traitements dans son élan de refus de «s’injecter toutes sortes de cochonneries dans le corps», elle qui prône la santé, le bio, le veganisme. Leur couple et leurs oppositions seront mis à dure épreuve. Anne sera aussi confrontée à sa petite sœur (Lamia Benhacine qu’on a pu voir dans Lignes de fuite de Catherine Chabot – tiens, encore elle ! – au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et qui ravit dans cette partition hilarante), l’avocate, celle qui travaille sans cesse, qui fait plein d’argent, que la mère a toujours mise en opposition. Cette mère justement, une Monique Spaziani tout aussi à sa place qu’en Reine Marguerite sur la scène du TNM à l’automne, reconnaissable entre toutes, typique, pleine de défauts, passive-agressive, délicieuse et imbuvable à la fois. On peut en dire tout autant de Catherine Bouliane qui vient jouer «l’amie», névrosée, insécure, celle qui travaille si fort à être parfaite, à maintenir les apparences, à juger tout le monde et à se faire juger par tout le monde parce que c’est ça qu’on fait quand on se compare sans cesse aux autres parents, à ceux qui se prennent pour qui d’avoir procréé ?



Dirigeant ses comédiennes avec un plaisir évident, Gabrielle Lessard - et la gang qu’elle a réunie autour de sa nouvelle création - semble s’en être donné à cœur joie en répétition et clairement, le travail a été réglé au quart de tour. Les répliques fusent à un rythme effréné et avec une poésie acerbe qui ravit. On est au milieu d’un perpétuel flot d’accusations, de jugements, de règlements de compte, de blessures pas guéries ou qu’on rouvre pour les explorer davantage… jusqu’à pas régler grand-chose. Mais comme on dit, «le bonheur est dans le voyage» ! Peut-être plus pour les spectateurs que pour les personnages… mais certaines pour les comédiennes !


La Blessure, ça semble être un règlement de compte – ou à tout le moins une série de flèches – de l’auteure sur un paquet de petites affaires agaçantes qui ne guérissent pas, ne se replacent pas; des ecchymoses qui ne pâlissent pas, des tumeurs qui ne rétrécissent pas, des plaies qui ne se referment pas. C’est aussi, comme le dit clairement le site internet d’Espace Libre, «un regard critique et mordant sur la polarisation des débats sur l’écologie et [qui] explore les clivages sociaux et intergénérationnels qu’ils révèlent» et je suis bien d’accord ou je ne le répéterais pas.


Si vous vous rendez à Espace Libre en pensant que vous entendrez une thèse de philosophie écrite par une savante professeure qui se prend la tête? Non. Vous assisterez à une bonne pièce de théâtre qui vous fera rire et réfléchir, jouée par des interprètes de grand talent dans un endroit intime et chaleureux. Welcome back to life. Ça fait du bien.



La Blessure Texte et mise en scène: Gabrielle Lessard Interprétation: Lamia Benhacine, Marie-Anick Blais, Eve Duranceau, Monique Spaziani et Catherine Bouliane Conception: Jasmine Kamruzamman, Wendy Kim Pires, Cédric Delorme-Bouchard, Chloé Barshee, Marie Lépine, Olivier Hardy et Le Futur Production: Théâtre PAF en codiffusion avec Espace Libre Du 22 mars au 9 avril 2022 (1h30 sans entracte) Mardi au samedi à 20h, jeudi à 19h Espace Libre, 1945, rue Fullum, Montréal Réservations : 514-521-4191 Information : https://espacelibre.qc.ca/evenement/la-blessure/ Photos : Sylvie-Ann Paré

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