par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
Il est très rare que la Salle Fred-Barry accueille des spectacles unilingues anglais. Bon, parfois, il y a des spectacles bilingues (le mémorable L’Homme invisible/The Invisible Man de Patrice Desbiens ou plus récemment le très touchant Jonathan : la figure du goéland de Jon Lachlan Stewart), mais il y a très longtemps qu’une production anglophone a foulé les planches de la petite salle du Théâtre Denise-Pelletier. En fait, ça remonte à 1996 quand Youtheatre avait offert une série de représentations scolaires d’une pièce intitulée Treehouse!
Avec Redbone Coonhound, Imago Théâtre (Montréal) et Tarragon Theatre (Toronto) ne peuvent pas être plus dans l’air du temps et, bien que la pièce aurait pu être accueillie par un théâtre résolument plus anglo (la petite salle du Segal Centre, le MainLine) ou bilingue (La Chapelle, MAI – Montréal Arts interculturels), il est beau de voir que Claude Poissant ait eu envie d’ouvrir ses portes à un spectacle aussi important et qui arrive dans la suite du mouvement Black Lives Matter et pendant une période particulièrement sensible de l’histoire de l’Humanité où tout ce que l’on dit et tout ce que l’on fait peut devenir un déclencheur, heurter les sensibilités d’une personne ou une autre.
Redbone Coonhound est donc offerte, pour dix représentations seulement à Montréal, avec d’excellents surtitres en français pour ceux et celles qui en auraient besoin. Ainsi, la barrière linguistique ne devrait pas empêcher quiconque de plonger dans cette puissante exploration du fait afro-américain/canadien. Parce qu’à l’instar des pièces de Yasmina Reza qui partent souvent d’un incident anecdotique et banal pour plonger les personnages dans des enjeux et des questionnements très profonds même quand c’est fait avec un humour absurde et décapant, Redbone Coonhound part d’une rencontre insignifiante entre deux couples dans un parc de Vancouver dont un qui promène son chien… insignifiante jusqu’à ce qu’on apprenne la race du chien, le «redbone coonhound», deux mots qui déclenchent un tollé parce qu’ils sont également des insultes raciales aussi graves que le mot en «n»!
S’ensuivra alors une série d’aller-retour dans l’Histoire de l’Amérique noire, des tableaux qui explorent avec un humour noir (sans jeu de mots), grinçant et souvent absurde, et avec plusieurs points de vue souvent divergents (comme quoi la réalité n’est pas toujours toute noire ou toute blanche, encore – sans jeu de mots !), la situation des Noirs – hommes, femmes – sur deux siècles, son évolution mais surtout sa triste stagnation à plein d’égards. Racisme systémique? Ben oui, on y revient et il faut cesser de se mettre la tête dans le sable.
Le texte d’Amy Lee Lavoie et Omari Newton, un couple mixte dans la vie, elle graduée du programme d’écriture dramatique de l’École Nationale de Théâtre à Montréal, lui comédien montréalais d'origine, maintenant Vancouvérois, hilarant et audacieux, s’inspire de leur vécu et est le résultat de nombreuses conversations musclées. Même dans les moments les plus dramatiques, les auteurs se permettent d’aller très loin dans la caricature et dans l’absurde, ce qui rend la pièce accessible et universelle. On se régale de l’animation vidéo magnifique de Dezmond Arnkvarn qui nous aide à voyager dans le temps.
Les sept interprètes sont renversants. Ils semblent tous prendre un plaisir fou à mordre dans les mots et les situations abracadabrantes dans lesquelles les plongent les auteurs. Efficace et ludique, la mise en scène de Micheline Chevrier et Kwaku Okyere soutient formidablement le texte et donne un bon rythme à l’ensemble.
Maintenant que nous avons pu voir la pièce en anglais, il serait génial qu’une compagnie d’ici (se joignant à Imago Theatre peut-être ?) prenne la balle au bond et nous propose une traduction/adaptation québécoise qui pourrait être présentée aussi à Fred-Barry… comme ça avait été le cas pour This is What Happens in Orangeville de Hillar Liitoja (DNA Theatre) en 1988, reprise par le Groupe Multidisciplinaire de Montréal pendant la saison 1991-1992 sous le titre Voilà ce qui se passe à Orangeville. Peut-être qu’après sa traduction en anglais de King Dave, le comédien bilingue Patrick Emmanuel Abellard pourrait-il prendre un tel projet à bras-le-corps ?
*pièce présentée en anglais avec surtitres en français
Redbone Coonhound de Amy Lee Lavoie et Omari Newton
Mise en scène: Micheline Chevrier et Kwaku Okyere
Interprétation: Christopher Allen, Kwesi Ameyaw, Lucinda Davis, Brian Dooley, Deborah Drakeford, Jesse Dwyre et Shala Hunter
Traduction et surtitres: Élaine Normandeau
Dramaturgie: Stephen Drover et Myekah Payne
Animation vidéo: Dezmond Arnkvarn
Éclairages: Michelle Ramsey
Scénographie: Jawon Kang
Costumes: Nalo Soyini Bruce
Sonorisation: Thomas Ryde Payne
Assistante du concepteur sonore : Samira Benihashemi
Direction technique: Vladimir Cara
Régie: Daniel Oulton
Apprenti régisseur: Julian Smith
Technicien: Kate Hagemeyer
Imago Théâtre (Montréal) et Tarragon Theatre (Toronto)
Du 21 mars au 1er avril 2023 (1h20 sans entracte)
Salle Fred-Barry (Théâtre Denise-Pelletier), 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal
Réservations : 514-253-8974
Photos: Cylla von Tiedemann
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