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Théâtre: «Rhinocéros» d’Eugène Ionesco: D’Asie ou d’Afrique, nous sommes tous des moutons

  • Photo du rédacteur: Yanik Comeau
    Yanik Comeau
  • il y a 3 minutes
  • 4 min de lecture

par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)


   L’an dernier, en écrivant ma critique de Le Prince, pièce inspirée de Machiavel et présentée sur la même scène du Théâtre Denise-Pelletier, j’ai parlé de mon amour pour l’humour absurde, citant Ionesco, René De Obaldia et Marc Brunet en exemples. La saison suivante, feu Claude Poissant (et c’est là un de ses précieux legs) programme une des pièces phares du Roumain naturalisé Français Eugène Ionesco, le créateur de La Cantatrice chauve (sans doute son œuvre la plus jouée), Les Chaises (sans doute pas loin derrière), Jeux de massacre et Le Roi se meurt. C’est la comète fulgurante de la mise en scène Marie-Ève Milot qui signe cette nouvelle mouture de Rhinocéros cinquante-sept ans et demi après sa «création québécoise» par le TNM.


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   Au fil des années, Ionesco sera devenu un des auteurs chouchous des Québécois tout autant que des Français (bien que quand même beaucoup moins monté ici que là-bas) et, bien que son théâtre ait toujours eu une résonnance sociale et critique de sa société, la majorité de ses œuvres auront été accessibles même au grand public à qui aurait échappé la portée politique, philosophique ou sociologique. Mais monter Rhinocéros au Théâtre Denise-Pelletier, presque trente ans après la production d’un «jeune» René-Richard Cyr sur cette même scène, n’a rien de banal ou de fortuit. C’est faire preuve d’une vision du monde qui nous entoure en cette triste période de retour au fascisme, à la dictature et au capitalisme sauvage.


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   À l’instar du visionnaire 1984 d’Orwell, écrit en réaction aux régimes totalitaires et à la propagande d’Hitler et de Staline, Ionesco a écrit Rhinocéros en réaction à la montée du totalitarisme, du fascisme et du nazisme dans son pays natal. Le conformisme et la dégradation du tissu social déjà fragile engendrés par la réélection du Démon Orange et son effet sur la planète entière ne sont certainement pas étrangers à la pertinence de cette reprise.


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   Mais le travail qu’a fait Marie-Ève Milot dans cette relecture d’une efficacité redoutable – à tout point de vue –, avec la complicité de son âme soeur Marie-Claude Saint-Laurent, va bien au-delà du coup (de génie) de monter Rhinocéros. Là où Albert Millaire aura pris 17 interprètes et René-Richard Cyr douze, Marie-Ève Milot se «contente» de six et y va d’une parité hommes-femmes qui devrait faire l’envie de nos chefs d’état actuels… je parle de chez nous. Même pas besoin de regarder ailleurs.


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   Le texte respecte en tout point la vision et l’intention d’Ionesco mais en choisissant de donner à plusieurs personnages une diction disons plus… contemporaine ? moins… «vieux-pays», la metteure en scène rapproche la pièce de son public sans l’infantiliser ou le traiter avec condescendance. C’est très subtil. Tout comme la troublante connexion de cette pièce créée dans une traduction allemande il y a soixante-six ans avec l’actualité contemporaine.


   Parce que ce que Marie-Ève Milot a fait, tant dans cette relecture serrée, efficace, délicieusement étourdissante que dans sa mise en scène visionnaire, est remarquable. Non seulement ses choix de distribution sont-ils audacieux et rafraîchissants mais sa direction d’acteurs, dans la scénographie du virtuose Patrice Charbonneau-Brunelle, les éclairages formidables d’Étienne Boucher et la musique captivante d’Antoine Berthiaume, confirme une fois de plus sa place comme une des grandes metteures en scène de sa génération.


   Et que dire des interprètes ? Tout le monde est parfait et incarne deux personnages chacun à l’exception de Zoé Boudou (délicieuse Daisy) et Christophe Payeur (formidable Béranger, un rôle qu’on dirait écrit sur mesure pour lui). Après, réunir Anna Beaupré Moulounda et Gabriel Szabo sur scène après Moi, Jeanne à Espace GO, c’est du pur délice, une cerise sur un déjà délicieux sundae. Lamia Benhacine est sans doute une des meilleures comédiennes de sa génération. Elle excelle partout dans une espèce de discrétion étonnante. Pourtant, elle me surprend et me ravit toujours. Bien que j’aie eu un peu de difficulté avec Renaud Lacelle-Bourdon en Jean, il s’est racheté à mes yeux en Papillon. C’est un grand interprète aux talents physiques indéniables mais qui gagnerait parfois à explorer autre chose dans son corps. Surtout à créer une meilleure distinction entre ses deux personnages lorsqu’il est appelé à se dédoubler comme c’est le cas ici.


    Qu’à cela ne tienne, la vision de Claude Poissant est bien vivante avec cette première production magistrale de la saison 2025-2026 du Théâtre Denise-Pelletier. Un régal à ne pas manquer !



Rhinocéros d’Eugène Ionesco

Mise en scène et relecture: Marie-Ève Milot

Soutien dramaturgique: Marie-Claude Saint-Laurent

Assistance à la mise en scène et régie: Josianne Dulong-Savignac

Avec Anna Beaupré Moulounda, Lamia Benhacine, Zoé Boudou, Renaud Lacelle-Bourdon, Gabriel Szabo et Christophe Payeur  

Scénographie: Patrice Charbonneau-Brunelle

Assistance à la scénographie et réalisation des accessoires: Maude Janvier

Réalisation des accessoires: Fernando Maya Meneses

Musique: Antoine Berthiaume

Costumes: Cynthia Saint-Gelais

Assistance aux costumes: Juliette Dubé-Tyler et Sarah Chabrier

Lumières: Étienne Boucher

Mouvement: Anne Thériault

Vidéo: Zachary Noël-Ferland

Coach screaming: Sébastien Croteau

Maquillages et coiffures: Justine Denoncourt-Bélanger

Stagiaires: Nori Vaillancourt et Charlotte Marechal

Une production du Théâtre Denise-Pelletier

Du 24 septembre au 18 octobre 2025 (1h20 sans entracte)

Théâtre Denise-Pelletier, 4353, rue Sainte-Catherine, Montréal

Réservations: 514-253-8974

Photos: Victor Diaz Lamich

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