par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)
Les sonnets de Shakespeare sont de petits bijoux souvent réservés aux salles de classe de littérature alors qu’ils sont non seulement magnifiquement poétiques mais aussi totalement «théâtralisables». Guy Sprung et Infinithéâtre l’ont très bien compris avec leur magnifique spectacle modernisant ce matériau fertile, Shakespeare’s Sonnets: Transforming the Voices of Montreal présenté au Moyse Hall de McGill à l’automne, et Patrick R.Lacharité et sa Factrie aussi avec Nous serons éternels, une délicieuse série de tableaux généreusement délinquants qui surprennent, touchent, choquent (par la surprise, surtout) et innovent tout en faisant la plus place belle aux mots du poète et dramaturge le plus connu de l’humanité.
Le spectacle commence par un premier sonnet proposé par un comédien coincé dans une magnifique robe élisabéthaine qui, croit-on, donnera le ton du spectacle de 70 minutes, mais il n’en sera rien. Bien qu’intéressant et capteur d’attention, ce personnage régal deviendra plutôt un genre de maître de cérémonie comme celui du Cabaret de Berlin pensé par Fred Edd et John Kander. Il supervisera, de son trône, les tableaux proposés par douze autres interprètes qui jouent, chantent, se meuvent, se caressent avec énergie, sensibilité, sensualité, vérité, tant dans les moments les plus touchants que dans les écarts complètement loufoques qui brisent le ton mais que l’on finit par apprivoiser et accepter. Accompagnant la reine androgyne, une sublime Chloé Barshee se métamorphosant dans les premières minutes en statue d’argile qui tissera des liens entre les tableaux sans jamais ouvrir la bouche. Une belle trouvaille. Une splendeur.
On reste bouche bée devant la beauté de certains des tableaux, proposés dans un décor minimaliste mais évocateur et ma foi très joli. On s’esclaffe dans les moments complètement loufoques que propose ce comédien qui se prend un peu trop au sérieux et qui fait un clin d’œil au fait que Shakespeare puisse si souvent être joué de façon trop ampoulée. On s’amuse ferme et on serait fou de bouder ces petits moments de comédie même s’ils ont tellement l’air de détoner.
La somme de toutes les parties est un savoureux mélange de mouvement s’apparentant à la danse contemporaine, de poésie intelligemment théâtralisée et de tableaux ludiques inspirés des mots habilement traduits de Shakespeare. Difficile de ne pas se laisser porter par cette proposition réfléchie, cohérente, riche de Patrick R.Lacharité clairement inspiré d’une démarche artistique nourrie et appuyé par William Durbau qui a fait un magnifique travail dramaturgique et par la grande metteure en scène et pédagogue Martine Beaulne qui a sans doute aidé à assurer la limpidité de cet objet théâtral très réussi.
Nous serons éternels est un ravissement et on trépigne d’impatience à découvrir de quelle matière littéraire s’inspirera Patrick R.Lacharité pour son projet spectacle.
Nous serons éternels (d’après les sonnets de Shakespeare) Mise en scène: Patrick R.Lacharité Assistance à la mise en scène: Ariane Lamarre Répétitrice / Aide au mouvement: Audrey Rochette Dramaturgie: William Durbau Mentorat: Martine Beaulne Conseillère artistique: Érika Mathieu Interprètes: Véronique Beaudoin, Chloé Barshee, Mriam Debonville, Alexa-Jeanne Dubé, Natacha Filiatrault, Ariane Lavery, Jessica Léveillée-Lemay, Sasha Migliarese, Fanny Migneault-Lecavalier, Jeanne Roux-Côté, Sébastien Tessier, Philippe Thibault-Denis, Alex Trahan et Yann Villeneuve Éclairages: Julie Basse Scénographie: Anne-Sara Gendron Costumes: Charlotte Girard Conception sonore: Y Pop Coit Une production de Patrick R.Lacharité/La Fratrie 23 au 28 avril 2019 – Mardi, jeudi, vendredi, samedi 20h, dimanche 16h (1h10 sans entracte) La Chapelle, Scènes Contemporaines, 3700, rue Saint-Dominique, Montréal Réservations : 514-843-7738 – www.lachapelle.org
Photos: Maxime Paré-Fortin