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«Centre d’achats» d’Emmanuelle Jimenez: Culte de la consommation

Dernière mise à jour : 13 juil. 2019

par Yanik Comeau (ZoneCulture/Comunik Média)


En 2003, Martin Faucher créait Du vent dans les dents d’Emmanuel Jimenez au Théâtre d’aujourd’hui. Quinze ans plus tard, sur la même scène, on a droit à une nouvelle création de cette auteure dont l’écriture fine et ronde est séduisante et puissante à la fois. Avec Centre d’achats, on est happé par l’héritage des tragédiens grecs et, par la bande, l’œuvre de Michel Tremblay.


C’est qu’au niveau de la forme, Centre d’achats commence par un brillant monologue énumération à sept comédiennes qui rappelle les commandes de diner de Françoise Durocher Waitress. Plus tard, on aura droit à une ode à la consommation, à sa Mecque le centre commercial qui offre des effluves de l’Ode au Bingo des Belles-Sœurs. Cette salle d’essayage vitrée aux allures de confessionnal sera le lieu de monologues qui nous donneront une incursion dans la psyché de certains personnages comme ceux de Marie-Ange Brouillette, Lisette de Courval, Rose Ouimet… Et la finale nous rappellera la splendide ouverture de Sainte-Carmen de la Main.


Tout cela n’enlève rien au talent évident ou au texte touffu et brillant de Jimenez ni à la mise en scène efficace, limpide mais à l’allure légère de Michel-Maxime Legault qui, encore une fois, démontre qu’il a toujours une vision précise du spectacle qu’il monte et un sens de la direction d’acteurs indéniable (comme dans Savoir compter de Marianne Dansereau qu’il a dirigée à la salle Jean-Claude-Germain la saison dernière). Jimenez a mis le doigt sur le pouls de ce microcosme qu’est le centre commercial, le centre de l’univers d’une faune qui le fréquente au quotidien (les marcheurs du matin, les retraités pour qui ça devient le Tim Hortons avec plus d’options…), à l’occasion (pour se gâter, oublier ses problèmes dans le magasinage, fuir le quotidien) ou pour une raison bien précise (comme acheter la robe de bal de finissants de sa fille, celle qui marquera le début de sa vie !).


Proposant trois duos de sœurs ou amies (pas clair dans le cas des plus vieilles, Simone et Yvette, qui m’ont tellement rappelé Rhéauna et Angéline dans Les Belles-Soeurs – tiens, encore!), trois générations, et une quatrième avec la fameuse adolescente un peu à l’écart tout du long qui interagira finalement avec sa mère avant que tout culmine, la pièce est un délice absolu.



Incarnant les sexagénaires retraitées (une ex-commis du Zellers dont c’est la vente de fermeture/liquidation ces jours-ci et une femme au foyer, des veuves, la dernière bien motivée à ré-explorer le sexe avec un nouvel amoureux, la première au bord de la crise de nerf et malheureuse comme une pierre), Danielle Proulx et Marie-Ginette Guay, qui foulent toutes deux les planches du Théâtre d’aujourd’hui pour la première fois (!), sont absolument fantastiques.


Un peu plus jeunes, mais encore plus névrosées, Suzanne la schizophrène (Anne Casabonne, épatante après son excellente interprétation dans Le Déclin de l’Empire Américain le mois dernier à Espace Go) et Josianne, la Mommie Dearest du bal de finissant (Marie Charlebois que je ne me lasse pas de voir depuis que je l’ai découverte en adolescente dans Faux frère de Jocelyne Beaulieu à La Licorne en 1988!), sont fascinantes. Enfin, Léa (toujours excellente Johanne Haberlin) et son agente d’immeubles de sœur Sandrine (Madeleine Péloquin tout aussi sublime) cherchent un cadeau pour leur sœur mourante, illustrant en quelque sorte le ridicule qui tue. Puis, il y aura Julie-Josie, l’adolescente rêveuse, juste assez révoltée, branchée mais pas étrangère aux éternelles remises en question de l’existence, incarnée par Tracy Marcelin, une joyeuse découverte.


Dans une scénographie glaciale et épurée de Jean Bard qui rappelle celle de la boutique branchée de Max-Otto Fauteux pour Manifeste de la Jeune-Fille, une autre pièce qui prend le thème de la surconsommation à bras-le-corps, des éclairages de David-Alexandre Chabot et une conception sonore troublante de Philippe Brault sans parler des «costumes» du designer Denis Gagnon que l’on nous invite à consommer parce qu’ils sont disponibles au magasin (!), la joyeuse bande de Michel-Maxime Legault nous offre un petit bijou de pièce, un délicieux plaisir coupable qui fait néanmoins réfléchir et grincer des dents. À ne pas manquer.


Centre d’achats Texte: Emmanuelle Jimenez Mise en scène: Michel-Maxime Legault Interprétation: Anne Casabonne, Marie Charlebois, Marie-Ginette Guay, Johanne Haberlin, Tracy Marcelin, Madeleine Péloquin et Danielle Proulx Assistance à la mise en scène et régie: Étienne Marquis Scénographie: Jean Bard Éclairages: David-Alexandre Chabot Conception sonore: Philippe Brault Une création du Théâtre Marée Haute en collaboration avec le Centre du Théâtre d’aujourd’hui Du 13 novembre au 1er décembre 2018 (1h20 sans entracte) *** Supplémentaire: 1er décembre 2018 à 20h Salle principale – Théâtre d’aujourd’hui, 3900, rue Saint-Denis, Montréal Billetterie: 514-282-3900 poste 1 Photos : Valérie Remise

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