top of page

Théâtre: «L’Usure de nos aurores» de Debbie Lynch-White: Noir silence

  • Photo du rédacteur: Yanik Comeau
    Yanik Comeau
  • 18 oct.
  • 3 min de lecture

par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)

   On dit souvent que la première œuvre d’un.e auteurice est autobiographique. Ça ne veut pas dire que ce premier roman, cette première pièce soit un copier-coller de sa vie, mais le bon vieux mantra write what you know (écris ce que tu connais) est pas mal une règle de base. Surtout lorsque l’on commence à écrire. Sans prétendre connaître en profondeur la vie de Debbie Lynch-White ou même que ça exerce une quelconque influence sur la tournure de cette critique, force est d’admettre qu’il est difficile de ne pas croire qu’on a accès, avec sa première pièce L’Usure de nos aurores, à une parcelle de son âme, de son cœur, de tout ce qu’elle est comme femme, comme humaine.

ree

   Parce que L’Usure de nos aurores, cet huis-clos qui nous plonge dans l’intimité d’un couple lesbien en apparence rêvé, est quand même inspiré d’une situation vécue par l’autrice. Celle qui a fait une maîtrise sur les silences au théâtre ne pouvait pas, en écrivant sa première pièce et en choisissant d’en signer la mise en scène, ne pas mettre en pratique ce qu’elle avait pris quelques années à étudier, à creuser, à explorer. Les silences sont si présents dans la représentation, souvent entiers, sans musique aucune (ce qu’on a souvent tendance à faire quand il y a des silences… on met de la musique pour meubler !), souvent dans le noir en plus, qu’on entend certain.e.s spectacteurs.trices, après quelques secondes, commencer à «souffrir» et commenter: «Bon, c’est correct, là, on a compris» et «Cou’donc, c’est-tu d’jà fini?»

ree

   Parce que le silence est souvent synonyme de malaise, tant dans la vie que sur scène. Certaines personnes sont incapables de vivre dans le silence, de vivre des silences. Ici, Debbie Lynch-White ne se gêne pas pour explorer le malaise, elle qui jouera d’ici quelques jours dans la reprise de Malaise dans la civilisation à Fred-Barry ! Tout est dans tout… ou il y a de ces hasards…

ree

   Pour en revenir à L’Usure de nos aurores et à sa mise en scène, la Grande Salle de La Licorne a été emménagée de telle sorte que le spectateur entre par l’espace commun de l’appartement d’Élizabeth et Justine où les comédiennes Kim Despatis et Rose-Anne Déry jouent déjà le quotidien de leurs personnages. Comme spectateur, on s’en étonne, on trouve ça original, on se dit que ça va être intéressant, qu’on va plonger dans leur intimité rapidement… et on va s’asseoir à nos places. Mais en ressortant, après la pièce, même si les comédiennes n’y sont plus, on refait le même trajet à l’inverse avec un terrible sentiment d’intrusion, comme si on violait leur intimité. Le malaise est foudroyant. Très habile.

ree

   Pour sa première mise en scène, Debbie Lynch-White a choisi des comédiennes de grand talent qu’on achète dès les premières secondes. Tant dans leur chimie amoureuse, sensuelle, charnelle que dans leur toxicité verbale et physique, Kim Despatis et Rose-Anne Déry sont justes, nuancées… même quand les propos de leurs personnages ne le sont plus.

   Parce que le texte et les dialogues de Debbie Lynch-White sont une valse entre le quotidien banal et le règlement de compte, le sucré et l’acide des langues amoureuses et hargneuses. Et cette relation amoureuse entre deux femmes – qu’on voit que trop peu dans notre dramaturgie, c’était une des raisons pour lesquelles la nouvelle autrice a senti l’appel à l’écriture – aurait pu tout aussi bien être celle d’un homme et d’une femme ou de deux hommes… mais le duel lesbien a ses propres codes qui n’auraient pas été les mêmes pour une autre combinaison de genres.

   Bien que l’on puisse dire que Debbie Lynch-White ne s’écarte pas assez du quotidien dans cette première pièce, qu’elle met parfois dans la bouche de ses personnages des revendications et des récriminations sociales qu’on a déjà entendus (égalité hommes-femmes, vouloir ou non des enfants), il reste qu'elle le fait habilement et à sa façon et que L’Usure de nos aurores est une pièce nécessaire qui, souhaitons-le, pourrait être une porte d’entrée vers une nouvelle génération de dramaturgie lesbienne même si celle-ci existait quand même il y a presque cinquante ans mais qu’on préférait juste la qualifier de féministe à l’époque. Comme quoi, fort heureusement, les temps changent. Même si les problèmes de couples, eux, restent entiers… et souvent les mêmes.


L’Usure de nos aurores de Debbie Lynch-White

Mise en scène: Debbie Lynch-White

Assistante à la mise en scène: Chloé Ekker

Conseil dramaturgique: Maxime Allen

Avec Kim Despatis et Rose-Anne Déry

Décor: Kathlyne Lévesque-Caron

Costumes et accessoires: Pierrick Fréchette

Éclairages: Claire Seyller

Musique: Gabriel Gratton

Une production de La Manufacture

Du 7 octobre au 15 novembre 2025 – du mardi au jeudi à 19h, vendredi à 20h, samedi à 16h (durée : 1h30 sans entracte)

Théâtre La Licorne, 4559, avenue Papineau, Montréal

Billetterie: 514-523-2246 – theatrelalicorne.com

Photos: Suzane O'Neill

Commentaires


bottom of page