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«Quand la pluie s'arrêtera» d'Andrew Bovell: Réminiscences de «Magnolia»

par Yanik Comeau (Comunik Média)


Michel Dumont lance sa vingt-septième et dernière saison à la barre de la direction artistique de la Compagnie Jean Duceppe avec un spectacle audacieux et exigeant sans pour autant trop dépayser les spectateurs réguliers, les abonnés, les fidèles qui remplissent les sièges de la salle de la Place des arts depuis les années où elle s’appelait le Théâtre Port-Royal. Quand la pluie s’arrêtera de l’Australien Andrew Bovell est une fresque colossale, une partition théâtrale magistrale qui s’étend sur neuf décennies, présentant quatre générations de deux familles sur deux continents, l’Europe et l’Océanie.


Quand Dumont a planifié sa saison, jamais il n’aurait pu deviner que sa première pièce serait présentée sur fond de Harvey, Irma, José, Katia… mais elle ne pourrait pas tomber plus pile-poil. Une pièce coup de poing sur la période trouble que vit la race humaine, tristement visionnaire et éclairée sur ce qui nous attend tous.


Cette pièce s’inscrit aussi clairement dans un virage chez Duceppe. Bien que la compagnie ait toujours proposé des œuvres dérangeantes, troublantes, provocatrices de « frissons, [de] battements de cœur et [d’] étonnements » (j’ai encore des souvenirs indélébiles de Sœur Agnès de John Pielmeier, Messe solennelle pour une pleine lune d’été de Michel Tremblay et Le Locataire de Joe Orton, entre autres), comme promet Dumont dans le programme en parlant de sa saison chant du cygne, elle est surtout reconnue pour sa programmation accessible, son slogan «Des émotions en temps réel» et la devise de son fondateur Jean Duceppe «donner le théâtre au peuple québécois», la compagnie qui nous a donné le théâtre de Neil Simon, de Ray Cooney, d’Arthur Miller…



Devant Quand la pluie s’arrêtera, j’ai pensé au Magnolia de Paul Thomas Anderson, ce film où plusieurs histoires qui ne semblent pas liées finissent toutes par se croiser, se tisser ensemble, se rejoindre. Les histoires d’Elizabeth Law et Gabriel York ne semblent pas liées au début – surtout si on n’a pas regardé les noms des personnages sur la page DISTRIBUTION du programme – mais rapidement, on comprend que Gabriel York (Normand D’Amour qui tient ici un de ses plus beaux rôles au théâtre depuis plusieurs années malgré le peu de minutes qu’il passe en scène) est le père de… et le fils de… Je m’en voudrais de vous vendre des punchs, de vous empêcher de découvrir par vous-mêmes tous les fils tissés par l’auteur entre les générations, entre les personnages, les liens de parenté et le qui-est-qui, si important pour apprécier ce texte riche, fort, finement brodé.



Beaucoup avait été dit sur le fait que la pluie allait s’abattre sur la scène du Théâtre Jean-Duceppe. En entrevue, David Laurin, le futur codirecteur artistique de la compagnie, l’actuel codirecteur artistique de LAB87 qui coproduit le spectacle avec Duceppe et Le Trident de Québec, laissait sous-entendre qu’il y avait eu beaucoup de discussions et de complications autour de la mécanique pour ‘faire pleuvoir sur le grand plateau’. J’avoue que les seaux d’eau versés des cintres sur la tête des comédiens à chacune de leurs entrées sont rapidement devenus redondants pour moi. Cela étant dit, les ‘cordes’ qui pendent du ciel jusqu’au plancher sont une magnifique trouvaille qui s’inscrit parfaitement dans la scénographie minimaliste de Marie-Renée Bourget Harvey et qui est utilisée de façon brillante par le metteur en scène. La musique de Pascal Robitaille contribue joliment à l’ambiance trouble qui règne dans ces familles, dans les cœurs de ces personnages, sur cette planète, la nôtre, qui, plus rapidement qu’on ne voudrait l’admettre, vogue à la dérive vers un iceberg qui sera sans merci.


Le metteur en scène Frédéric Blanchette (qui signe également l’excellente traduction du texte) dirige une distribution des plus hétérogènes. Bien que tout le monde semble bien tirer son épingle du jeu, on a par moments l’impression que les acteurs n’ont pas répété ensemble, un peu comme s’il s’agissait d’une équipe à qui l’on avait confié des rôles dans un film d’animation et que chacun avait enregistré séparément (ce qui est souvent le cas), sans entendre les autres. Ça donne, dans certains tableaux, une étrange impression de détachement qui n’est pas inintéressante, mais peut-être pas volontaire non plus. Néanmoins, j’ai été très touché par le jeu de Normand D’Amour et de Maxime Robin ainsi que par les interprétations d’Alice Pascual, Marco Poulin et Linda Sorgini que – je le confesse – j’aime d’amour depuis que je l’ai vue dans L’Inconception de Robert Marinier aux côtés de Jacques L’Heureux dans l’ancien Théâtre d’aujourd’hui, rue Papineau (c’est vous dire à quel point ça fait un bout !).


Le chassé-croisé des comédiens, le réglage de leurs entrées et de leurs sorties est particulièrement réussi, voire même envoûtant, permettant de passer d’une époque à l’autre avec une fluidité – si vous me permettez ce terme qui pourrait avoir l’air d’un jeu de mot insipide dans le contexte – digne d’un ballet.



Quand la pluie s’arrêtera ouvre de belle façon cette 45e saison de la Compagnie Jean Duceppe. J’ai toujours protesté et je me suis toujours opposé à ceux qui disaient que Duceppe était un théâtre pour les têtes blanches. Bien que les spectateurs plus vieux aient toujours semblé plus nombreux que les plus jeunes dans la salle – c’est vrai – je crois que ce n’est pas une question de répertoire, mais une question d’argent. Les jeunes ont longtemps cru que le théâtre de Duceppe – bien qu’il se soit toujours voulu ‘accessible’ – n’était pas abordable. Ils n’avaient pas complètement tort, mais à cause de ce préjugé, que la compagnie tente pourtant de faire mentir depuis des années avec toutes sortes de promotions axées vers les jeunes, les moins de 35 ans ont peu fréquenté Duceppe au fil des années.


Avec Quand la pluie s’arrêtera et la saison 2017-2018, c’est le temps plus que jamais de mettre ces idées reçues de côté. Et d’investir dans une puissante soirée de divertissement qui touche, étonne et donne des frissons.


Quand la pluie s’arrêtera (When the Rain Stops Falling) Texte: Andrew Bovell. Traduction et mise en scène: Frédéric Blanchette. Avec Véronique Côté, Normand D’Amour, David Laurin, Christian Michaud, Alice Pascual, Marco Poulin, Maxime Robin, Paule Savard et Linda Sorgini. Une coproduction de la Compagnie Jean Duceppe, du Théâtre du Trident et de LAB87. Au Théâtre Jean-Duceppe (Place des Arts, Montréal) du 6 septembre au 14 octobre 2017 et au Grand Théâtre de Québec du 16 janvier au 10 février 2018

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