par Yanik Comeau (Comunik Média/ZoneCulture)
C’est à partir d’un fait vécu que la comédienne Rachel Graton (Les Simone, Boomerang, Au secours de Béatrice…) a écrit sa première pièce de théâtre. Un fait vécu troublant, bouleversant, qui donne froid dans le dos. Cette partition théâtrale pour cinq voix a rapidement trouvé preneurs, se méritant le prix Gratien-Gélinas 2017 de la relève, se trouvant un metteur en scène en la personne du cofondateur du Théâtre PàP et directeur artistique de la NCT (Théâtre Denise-Pelletier et salle Fred Barry) Claude Poissant et séduisant un autre directeur artistique, Sylvain Bélanger qui lui avait déjà offert une résidence d’artiste de deux ans à la salle Jean-Claude-Germain.
Cette pièce, c’est La Nuit du 4 au 5. Ce « fait divers » d’hiver, c’est l’agression d’une jeune femme, tout près de chez elle, en revenant d’un party. Et ce texte, c’est une partition étonnamment peu théâtrale mais finement ciselée, un récit à voix multiples qui se remémorent les événements – avec plus ou moins d’acuité selon le point de vue –, une série de témoignages découpés, entrecoupés, mêlés, de la principale intéressée, des voisins, des témoins, des citoyens du quartier qui semblent avoir besoin de participer à l’enquête pour reprendre possession de leur quartier où ce genre d’incident troublant ne devrait pas arriver.
Bien que le texte soit trop peu mis en scène et que l’on semble presque assister à une lecture publique sans lutrins ou à une œuvre qui pourrait être diffusée à la radio, le metteur en scène ayant opté pour une scénographie des plus dépouillées (ni plus ni moins qu’une scène vide – décidemment, est-ce une mode ? Le reflet d’un milieu théâtral souffrant de manque d’argent ? Le désir d’un nombre grandissant de metteurs en scène de « revenir à l’essentiel » ? Les trois ?), il est néanmoins truffé de lignes très fortes et l’auteure, s’inspirant de sa propre expérience mais puisant sans doute dans un imaginaire riche et une mémoire sensorielle hypersensible, a créé une partition à la fois limpide, poétique et percutante.
Malgré le fait que la mise en scène soit pour ainsi dire inexistante, que Claude Poissant – qui nous a habitués à des spectacles plus originaux, plus innovateurs, plus vivifiants – ait opté pour un statisme qui étonne, le metteur en scène aura quand même, encore une fois, prouvé son talent de directeur d’acteurs. Toute la distribution est nickel, absolument impeccable. Louise Cardinal est particulièrement remarquable, ne rivalisant d’originalité et de nuances qu’avec elle-même, multipliant les variations et jouant avec une précision impressionnante.
Somme toute, avec La Nuit du 4 au 5, Rachel Graton, sans trop de surprise étant donné que des supplémentaires étaient déjà annoncées avant même la première représentation, remporte son pari. Comme elle poursuivra son séjour d’artiste en résidence à la salle Jean-Claude-Germain l’an prochain et qu’elle est déjà en train d’écrire la pièce qu’elle y présentera, on sera curieux de voir si elle explorera une nouvelle forme, si elle installera une voix, une signature, une estampe Rachel Graton ou si elle nous emmènera sur un terrain complètement différent, elle qui, cette fois, sans tomber complètement dans l’autobiographie comme le font souvent les auteurs avec une première œuvre, a puisé à la source d’une expérience personnelle pour créer et a frappé dans le mille.
La Nuit du 4 au 5 Texte : Rachel Graton Mise en scène : Claude Poissant Avec Geneviève Boivin-Roussy, Louise Cardinal, Johanne Haberlin, Simon Landry-Désy et Alexis Lefebvre Une production du Centre du Théâtre d’aujourd’hui Du 26 septembre au 14 octobre 2017 - 7 supplémentaires jusqu'au 21 octobre (1h15 sans entracte) Également du 11 au 21 décembre 2018 Théâtre d’aujourd’hui – salle Jean-Claude-Germain, 3900, rue Saint-Denis, Montréal Renseignements : 514-282-3900 Pour en savoir plus : theatredaujourdhui.qc.ca Photos de : Philippe Latour
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