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Théâtre musical: «La Corriveau – La Soif des corbeaux» du Théâtre de l’Oeil ouvert: Chef d’œuvre!

par Yanik Comeau (Comunik Média / ZoneCulture)

À l’ère de la surenchère et de l’hyperbole, il vaut mieux ménager ses mots, éviter les exagérations, garder les expressions d’enthousiasme débordant pour les œuvres qui les méritent vraiment. Mais quand on se retrouve devant la naissance d’une nouvelle œuvre de théâtre musical qui marie livret nuancé et riche à des personnages étoffés, des genres musicaux variés et des paroles de chansons à la fois poétiques et brillantes, on peut sortir les gros canons et crier haut et fort au chef d’œuvre. On peut se réjouir de l’existence du Théâtre de l’Oeil ouvert qui accouche aujourd’hui d’un formidable Hamilton bien québécois !



Parce qu’avec La Corriveau – La Soif des corbeaux, c’est bien de cela dont il s’agit. À l’instar du néoclassique américain de Lin-Manuel Miranda qui relate la petite et la grande histoire de l’antihéros qui aspirait à la présidence des États-Unis, la toute nouvelle création du Théâtre de l’Oeil ouvert, dirigée par Jade Bruneau et écrite par Félix Léveillé, Geneviève Beaudet et Audrey Thériault, plonge dans l’humanité d’une simple femme devenue légende, mythe, mystère, sorcière, anti-héroïne dans le folklore québécois. Comme le succès colossal et planétaire de Miranda-l’homme-orchestre, La Corriveau mélange brillamment les genres musicaux et oscille habilement entre l’humour et l’émotion pour donner naissance à une œuvre puissante à laquelle on peine à trouver des failles.



Avec des chansons vers d’oreille dignes de Belles-Sœurs – Musical ou Hamilton (encore!), des rythmes qui nous plongent dans le folklore québécois à la Bottine souriante ou Mes Aïeux, des balades qui arrachent le cœur, des thèmes musicaux et vocaux qui lient à merveille les scènes, les dialogues, La Corriveau – La Soif des corbeaux réussit à déployer ses ailes et à prendre son envol majestueux des premiers mots, des premières notes jusqu’à l’atterrissage final d’une élégance saisissante. Bien que quelques petits moments musicaux pourraient être resserrés, voire élagués, on a droit dès la première à une œuvre peaufinée, raffinée, digne des classiques dès le premier saut du nid.



En empruntant à la métaphore de l’oiseau carnassier, charognard, transformant les citoyens du petit village de Saint-Vallier en impitoyables corbeaux perchés au-dessus du tribunal pour mieux pouvoir plonger sur la carcasse de la condamnée avant même qu’elle ne le soit, l’œuvre frappe dans le mille aussi. Cette imagerie ajoute non seulement une couche au rythme et au visuel du spectacle mais à la poésie de cette triste histoire connue mais rarement justement racontée, plutôt et presque toujours parsemée de rumeurs, de ragots, de bouche-à-oreille tordu et distordu au fil des décennies, des siècles.



Après avoir touché et fait rire, baignant comme un poisson dans l’eau au cœur de l’œuvre de Clémence DesRochers, la codirectrice et cofondatrice de L’Oeil ouvert Jade Bruneau signe non seulement une mise en scène efficace et rythmée digne d’un de ses maîtres à penser, René Richard Cyr mais elle incarne une Marie-Josephte Corriveau toute en voix et en finesse. Mais pas que… elle fait aussi partie de ce qu’on appelle l’«ensemble» (le chœur) en théâtre musical. Entourée d’une distribution colossale de triple threats (acteurs, danseurs, chanteurs tout en un), elle transcende le mythe de la sorcière qui a le dos large.



Chacun des interprètes est à la fois «personnage principal» et membre du chœur, prêtant son immense talent à «l’ensemble». Jean Maheux, le magistral Don Quichotte de l’inoubliable Homme de la Mancha que j’avais vu dans cette même salle de Joliette il y a vingt ans, est à la fois le viril et vulnérable papa Corriveau et le corbeau commère léger et comique.



Frédérike Bédard incarne une Maître Corbeau, avocate de la Couronne à la fois drôle et sinistre, troublante d’intransigeance et de sensualité. Et la versatilité de sa voix ne se dément pas depuis ses premiers pas sur scène dans la création de Pied de poule !



Renaud Paradis est si touchant en notaire qui doit s’improviser avocat de la défense, mariant comme toujours sa voix magnifique à celles de ses acolytes.


La puissante Karine Lagueux donne à sa narratrice contemporaine et résolument féministe, défenderesse de la vertue de la sorcière condamnée d’avance, toute la dignité et la compassion qu’il faut.



Codirecteur de L’Oeil ouvert aux côtés de sa conjointe complice, Simon Fréchette-Daoust use habilement de sa carrure imposante et de sa voix puissante pour infuser à Louis Dodier, deuxième mari de la veuve/mère de trois enfants, la virilité et la colère refoulée qu’imposent le personnage.



Enfin, on se régale des performances tout aussi drôles que touchantes des découvertes Frédérique Mousseau (La Voix) et Simon Labelle-Ouimet (Le Chant de Sainte-Carmen de la Main) qui roulent déjà leur bosse depuis un moment mais offrent ici toute la mesure de leurs talents dans des rôles délicieusement bien écrits (Isabelle Sylvain et Ti-Claude, le fou du village).



Dans un décor, des projections, des éclairages qui transmettent si efficacement l’aspect sinistre et triste du sort réservé à celle qui sera suspendue dans une cage de fer au cœur du village, La Corriveau – La Soif des corbeaux, après avoir profité pleinement de généreuses résidences de création qui permettent un véritable développement organique des œuvres et qui donnent le temps aux créateurs de peaufiner leur perle, est un magnifique ajout au corpus de plus en plus riche du théâtre musical québécois.


Une œuvre qui – souhaitons-le – connaîtra non seulement la longue vie qu’elle mérite mais saura aussi voyager outre-frontières, dans de nombreuses langues. Parce que ce qui touche le cœur touche l’universel.



La Corriveau – La Soif des corbeaux Texte: Geneviève Beaudet et Félix Léveillé Musique: Audrey Thériault Direction musicale et arrangements: Marc-André Perron Assistance à la mise en scène et régie: Lou Arteau et Marilou Huberdeau Distribution: Jade Bruneau, Frédérike Bédard, Karine Lagueux, Jean Maheux, Renaud Paradis, Simon Labelle-Ouimet, Frédérique Mousseau, Simon Fréchette-Daoust Musiciens: Marc-André Perron, François Marion et David Terriault Décor et costumes: Adam Provencher Direction technique et éclairages: Maude Serrurier Projections vidéo: Marc-André Perron Maquillages: Véronique St-Germain Coiffures: Kathleen Gravel

Photos: Thierry Du Bois

Une production du Théâtre de l’Oeil ouvert

Du 7 au 23 juillet 2022 – Centre culturel Desjardins de Joliette (durée: approx. 2h15 + entracte)

Du 27 au 31 juillet 2022 – Théâtre Le Patriote – Sainte-Agathe-des-Monts

Du 4 au 20 août 2022 – Le Carré 150 - Victoriaville

Informations: https://www.lacorriveau.ca/

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